PACTE - Dîner et préjugés



Pourquoi avoir fait ce film?

J’ai réalisé ce court-métrage afin de souligner la forte influence de la pression sociale sur la carrière des femmes, une pression trop souvent sous-évaluée. Elle est tellement quotidienne, tellement «normale» qu’on finit par l’oublier. Pour cette raison, je place ce thème de la pression sociale au début de l’ouvrage. Mais je l’ai fait aussi et surtout pour les mères qui souhaitent faire carrière, pour les aider à identifier cette influence extérieure, pour qu’elles puissent s’en libérer et procéder à leurs propres choix en toute indépendance. Plus d’un quart des femmes quittent définitivement le monde professionnel à l’arrivée de leur premier enfant, quant aux autres, elles réduisent leur temps de travail.

Une politique de promotion des femmes qui ne tiendrait pas compte du frein social que représente le regard des autres sera impuissante à augmenter la proportion de collaboratrices aux postes à responsabilité.

Constats

La pression sociale est omniprésente

Qu’une femme sans enfant travaille à plein temps est tout à fait accepté. En revanche, le jour où elle fonde une famille, les conseils et remarques assassines fusent de partout, comme l’illustre le film Dîner et préjugés: «Vas-tu travailler à mi-temps ?», «Tu vas arrêter de travailler, alors ?», ou pire encore : «Pourquoi faire des enfants si c’est pour ne pas s’en occuper ?», «Tous ces enfants qui traînent dans la rue avec la clé autour du cou !». C’est la société tout entière qui fait pression, la famille, les amis, les collègues, les médias, l’école. L’idée qu’une mère doit cesser de travailler pour s’occuper de ses enfants fait partie de notre éducation. La pression sociale est omniprésente. Elle est diffuse et informelle. C’est ce qui la rend difficile à identifier. La mère et, par ricochet, le père, sont influencés. Même s’ils se défendent de l’être et qu’ils sont convaincus de réaliser leurs propres choix.

La société est pleine de bonnes intentions

Il n’y a aucune malveillance dans les remarques adressées à la femme enceinte par son entourage. Ces commentaires sont naïfs et pleins de bonnes intentions. Les gens disent clairement que, normalement, avec deux enfants, on ne travaille pas. Il arrive même que ce soit l’enfant de ses amis qui le disent. L’enfant reproduit spontanément la conversation des adultes. Ces réflexions surgissent sans gêne aucune, au détour des conversations, parce que la conviction qu’une mère doit arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants est tellement ancrée qu’elle en devient inconsciente. La société, l’entourage de la future mère, a aussi des doutes sur ce qu’il convient de faire, et l’obéissance aux préjugés ancestraux est une manière de désamorcer ces doutes.

La culpabilité est la principale fragilité des femmes

La pression sociale est efficace parce qu’elle s’engouffre dans une faille présente chez la femme dès l’enfance. Cette faille est constituée d’un mélange de sentiment de culpabilité, de doute et de peur de faire faux. Dans nos sociétés, une femme est éduquée avec l’idée qu’elle doit s’occuper des autres et prendre soin d’eux. Si elle se détourne de cette mission, elle n’est pas une «vraie» femme. La petite phrase – Ah, maintenant que tu as un enfant, tu vas arrêter de travailler ! – a un impact justement parce qu’elle vient en écho aux propres doutes de la femme, à son désir de faire juste. Et cette pression sociale peut aller très loin, jusqu’à rendre coupable la femme qui choisit de ne pas avoir d’enfant et qui fait carrière, cataloguée comme «égoïste». Le conjoint, a aussi sa faille. Il doit ramener de l’argent pour nourrir sa famille, sous peine de ne pas être un «bon mari». Il a été éduqué selon la croyance que la survie et le confort des siens dépendaient de lui et de son salaire.

Le renoncement est le fruit de scénarios pessimistes

A l’origine de la décision de la femme de mettre un frein à sa carrière quand elle devient mère, il y a les scénarios catastrophes qui défilent dans son esprit: «Mon mari ne va plus m’aimer», «mon fils sera un drogué», «ma fille aura des problèmes psychologiques». Ces scénarios déclenchent une panique telle que la femme préfère quitter son travail ou, au mieux, travailler à mi-temps. Et c’est une décision définitive. Elle ne se donne même pas le droit d’un temps de réflexion. Elle décide au plus vite pour stopper le défilé de ces images.

La pression sociale est doublée d’une pression économique

Si le couple travaille, le salaire le moins élevé va être englouti par les impôts et par les frais de garde des enfants. C’est ce qu’a démontré une étude des Bureaux cantonaux de l’égalité*. Ce calcul économique pousse l’un des deux à rester à la maison.

L’environnement masculin a aussi un fort impact

Au sein des familles, les pères possèdent des amis dont l’épouse a arrêté de travailler avec l’arrivée des enfants. Dans notre film, par exemple, on voit le mari de Corinne, une jeune maman qui a renoncé à toute carrière pour s’occuper de sa famille et pour jardiner: il est tellement fier d’elle, tellement sûr que son couple est dans le juste. Il dit avec orgueil : «Elle a l’instinct maternel ma femme!». Ce faisant, il respecte la norme, et ainsi ses pairs - et pères - autour de la table sont tentés de se conformer à cette image. Dans l’entreprise, la hiérarchie évite de se mêler de la suite que leurs collaboratrices enceintes vont donner à leur carrière, par crainte de se montrer intrusif. Lorsqu’un bon élément féminin décide de se consacrer à sa famille, la hiérarchie est ennuyée, mais elle n’ose pas le dire de peur de commettre un impair, de se mêler de ce qui ne la regarde pas. Seulement, si le conjoint se tait, et la hiérarchie également, alors ils renforcent la pression sociale. Cependant, il existe aujourd’hui de plus en plus de jeunes hommes qui soutiennent leur femme lorsqu’elle exprime le souhait de poursuivre sa carrière malgré la venue des enfants.

Le prince charmant et Cendrillon, deux rôles pesants

Traditionnellement, l’homme est le protecteur, celui qui garantit le confort de chacun au sein de sa famille. Son devoir est de fournir l’argent. Le conte de Cendrillon avec son prince charmant en est une excellente illustration. Le prince vient avec son cheval, il libère Cendrillon de sa condition de souillon pour la hisser au rang de princesse. Et l’attente de Cendrillon**, c’est qu’un prince charmant vienne l’enlever de sa prison pour la mettre dans un beau château. Mais cette situation est pesante pour le deux à la longue. L’homme n’a pas le droit de perdre son château, faute de quoi sa Cendrillon le quittera. Cendrillon, de son côté, devra entretenir le confort du château, faute de quoi son prince charmant le désertera.

Causes

Le couple suit le modèle de ses propres parents

D’une façon générale, derrière le renoncement à sa carrière, il y a chez la femme une identification à sa propre expérience en tant qu’enfant, à son modèle parental. Elle reproduit inconsciemment ce qu’elle a vécu quand elle était jeune: un père absent et une mère omniprésente auprès des enfants. Son mari fait de même de son côté en s’identifiant à son propre père.

La société veut se rassurer sur ses propres choix

L’objectif de la femme au foyer qui fait pression sur son amie pour qu’elle délaisse sa carrière au profit de son rôle de mère, c’est de se rassurer qu’elle-même a fait le bon choix en se consacrant à ses enfants. Souvent, le manager qui ne promeut pas ses collaboratrices a lui-même une épouse au foyer. Il a besoin de se réconforter et de se convaincre que son modèle de couple est le meilleur. L’objectif final, c’est de se dire: «Moi, je fais juste.» Il ne s’agit pas de critiquer l’autre, mais de justifier son choix.

Le couple renonce pour mieux s’intégrer au groupe

Derrière le renoncement d’une femme - ou d’un couple - à faire le choix qui correspond le mieux à son désir profond, il y a la peur viscérale de ne pas s’intégrer au groupe, de se marginaliser, puis d’être rejeté par les autres. L’être humain est essentiellement un animal social. Il a peur de finir sa vie dans la solitude. Derrière ce renoncement, il y a aussi la reconnaissance de tout ce que les autres lui apportent. Et au final, on passe toute sa vie à essayer d’être heureux, mais en même temps on passe toute sa vie à essayer de faire plaisir aux autres pour qu’ils ne nous abandonnent pas

Pistes

Se poser les bonnes questions

Dans le film Isabelle, enceinte, rumine ses doutes en silence: «J’ai toujours eu envie de faire carrière, mais peut-être ne suis-je qu’une égoïste? Que faire ?» Elle ne trouve pas de solution. Elle est déchirée entre ses désirs et ses besoins propres, et par la nécessité de se conformer à la norme sociale. Pour résoudre son dilemme, Isabelle - comme toute femme dans sa situation - devrait commencer par se poser les bonnes questions, à savoir: quelles seront les conséquences d’un changement de taux d’activité sur son parcours professionnel? Ou quelle sera l’implication d’un poste à plein temps sur l’organisation de sa famille? Elle trouvera des réponses en parlant avec des femmes qui ont fait le même choix qu’elle, ou avec un coach professionnel.

Renforcer sa confiance en ses choix

Fondamentalement, la meilleure solution pour contrer la pression sociale, c’est la confiance en soi. Une femme qui a confiance en ses propres choix et désirs, ne se laisse pas facilement déstabiliser par les remarques et le regard des autres. J’ai rencontré des femmes submergées par le doute. Elles ne s’étaient jamais posé la question de ce qu’elles voulaient vraiment, ni de comment faire pour l’obtenir. Acquérir cette confiance en soi exige que l’on réalise tout un travail sur soi-même. Et c’est possible.

S’appuyer sur un modèle

Pour se rassurer, il est important que la femme puisse se référer à un modèle féminin, un modèle séduisant, à qui elle ait envie de ressembler et qui va lui démontrer, à travers son parcours, qu’il est possible d’être femme et de réussir sa vie professionnelle, sociale et familiale, c’est-à-dire de vivre une vie épanouie. Un tel modèle lui permettra de dédramatiser le côté difficile, impossible d’un tel succès. Comme les femmes ont souvent moins de modèles professionnels dans leur entourage que les hommes, il faut qu’elles aillent les chercher dans une sphère plus large.

Considérer son conjoint comme un partenaire

Tout l’enjeu pour la femme et pour son conjoint, c’est de communiquer librement sur les choix et l’organisation de la famille. C’est dans la discussion que les problèmes se résolvent et que les questions trouvent leur réponse. Le dialogue peut être coupé lorsque le décalage est grand entre l’homme qui travaille beaucoup et la femme qui reste à la maison. Mais aussi lorsque les deux, investis dans leur travail à plein temps, ne font plus que se croiser. Et dans ce nécessaire dialogue, il faut tenir compte des besoins et des attentes de chaque membre du couple, respecter l’autre quel que soit son choix. Tu préfères t’occuper des enfants? Voyons comment nous allons vivre avec un salaire de moins. Tu veux travailler? Voyons comment organiser notre vie de famille. La discussion est importante, mais l’organisation du couple, de la garde des enfants, du temps partiel du mari, aussi. Et dans l’idéal, cette organisation devrait se faire dans le respect des besoins de l’un et de l’autre.

S’appuyer sur le soutien de son entourage

La famille et les amis peuvent aussi aider le couple à faire les choix qui lui conviennent le mieux, en lui faisant confiance et en le lui montrant. Ils peuvent soutenir leur amie ou leur fille qui souhaite poursuivre sa carrière. Cependant, de son côté, le couple doit accepter que s’il fait œuvre de pionnier, son entourage ne le soutiendra guère.

Mettre en place des systèmes de mentorat...

En matière d’égalité, les entreprises ont déjà organisé des systèmes d’aménagement du temps de travail, comme le temps partiel ouvert aux femmes et aux hommes, des crèches d’entreprise et des cours de gestion pour les collaboratrices. Et pourtant, seul 10 -20% des femmes deviennent cadres. Pourquoi si peu? Parce que ces solutions ne suffisent pas. Elles ne combattent pas la puissance de la pression sociale qui s’exprime en-dehors de l’entreprise. Je l’ai mentionné plus haut, la confiance en soi est une parade très efficace à la pression sociale. Les programmes de mentoring contribuent fortement à augmenter la confiance de la femme en ses propres choix. Encore faut-il trouver le mentor qui corresponde à chacune. Cependant, plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les modèles féminin se font rares. Il reste à imaginer des politiques de mentorat interentreprises ou des lieux favorisant la rencontre entre marraines et filleules. La force du mentorat, c’est quand une femme en accord avec ses choix peut dire à une autre femme: «Je l’ai fait, tu peux le faire».

...et de reconnaissance formelle

Les femmes ont besoin de reconnaissance et de compliments. Elles ont tendance à rester en retrait par rapport aux hommes, à faire leur travail en silence. Les femmes ne se font pas remarquer. C’est pourquoi elles ont besoin qu’on les identifie et qu’on aille les chercher. Elles ne sortiront pas du bois toutes seules. Derrière leur manque d’ambition apparent, il y a la pression sociale justement. Pour toutes ces raisons, il faut les reconnaître formellement dans leurs qualités, le leur dire et les récompenser. Et puis, les femmes travaillent beaucoup, dans l’entreprise mais aussi à la maison, où tout repose sur elles. Le vrai enjeu, c’est de les amener à prendre conscience de leur valeur, de les aider à se fier à leurs compétences et à leurs choix de vie. Pour surmonter l’écueil de la pression sociale, les entreprises devraient mettre en place des programmes qui tiennent compte de tous ces aspects.


Résumé du film


Isabelle est enceinte de son premier enfant. Elle travaille comme assistante de direction et présente un potentiel professionnel qui n’a pas échappé à son directeur. Isabelle souhaite faire carrière. Ce soir-là pourtant, à l’occasion d’un dîner d’anniversaire entre amis, les commentaires tournent autour de l’importance du rôle de la mère, de la nécessité de sa présence auprès des enfants. Isabelle est secouée par cette discussion et finit par remettre en question ses choix professionnels. Va-t-elle résister à la pression sociale et poursuivre son projet de carrière ou tout stopper pour se consacrer à sa famille?

Mot clé: confiance

Il est vrai qu'une personne ne peut faire tout ce qu'elle veut, mais toute personne peut ne jamais faire ce qu'elle ne veut pas. - Jorge Bucay, Je suis né aujourd'hui au lever du jour -

Et vous?

Quelle définition donnez-vous à la pression sociale ?

D’où vient-elle et comment se manifeste-t-elle ?

À quelles peurs, selon vous, répond le besoin de faire comme les autres ?

Quelles appréciations vos proches (conjoint, enfants, parents) ont-ils de votre travail ?

Observez-vous un sentiment de culpabilité en ce qui concerne votre situation ? Si oui, comment se manifeste-t-il ?

Quelle est l’attitude à adopter vis-à-vis des personnes qui portent un jugement sur vos choix professionnels?

Décrivez une situation vécue.

Quelles seraient, selon vous, les pistes pour gérer la pression sociale ?